________ Interview par On lit plus fort et ses lecteurs ________
Interview
réalisé par le site On lit plus fort, et par ses lecteurs, Christophe Mauri a presque bavardé avec tous, ce qui donne quelque chose de très intéressant !
- Alexandre N'gobo: Bonjour Christophe, j'ai 17 ans, je suis l'auteur d'un manuscrit traitant d'un monde fictif créé de toute pièce, je souhaiterai le soumettre à une édition, quels conseils pourriez-vous me donner ?
Christophe Mauri: À quatorze ans, j'ai reçu ce conseil de la part de Gallimard Jeunesse à propos d'un manuscrit refusé : « Il faudrait se concentrer sur certains éléments fort, les enrichir, les approfondir. » Je suis resté dix ans devant cette phrase qui avait l'air si simple sans vraiment la comprendre. Un jour, elle m'a paru évidente. Il est très facile de s'égarer, de se noyer dans une intrigue et un univers de fiction.
Le plus souvent, un roman n'est pas une somme d'idées qui ont toutes la même importance. Certaines scènes dominent le récit ; ces grandes scènes que l'on a déjà en tête avant même de les écrire. Eh bien, il faut essayer de les mettre en valeur, pour donner du sens au récit.
C'est comme une longue randonnée de montagne. Pendant cette randonnée, vous ne faites pas qu'atteindre des sommets. Vous avez un sommet en vue, voilà l'élément fort ; et la longue marche, la narration, va conduire jusqu'à ce sommet. Si l'on met des sommets partout, alors on prend le risque que tout soit plat, au bout du compte. J'espère que ce conseil te parlera mieux qu'à moi quand je l'ai reçu pour la première fois ! Bonne chance !
- Tom Sortcelier : Pourquoi un chien à quatre têtes et pas 3, 5, 7... ? :)
C. M. : À vrai dire, Mathieu Hidalf pensait avoir acheté un chiot à cinq têtes. Le vendeur lui avait promis que la cinquième pousserait après quelques mois. Hélas, Mathieu l'attend toujours ! Voilà à quoi tient le nombre de tête de Bougetou : à un animalier qui a escroqué Mathieu Hidalf !
- Justine Coustrain : Bonjour Monsieur Mauri ! Ma question, ou plutôt, mes questions sont les suivantes: être auteur et faire des études longues, pensez vous que ces deux choses soient compatibles (surtout au niveau du temps de travail à consacrer à chacune)? En tant qu'auteur, vivez vous de vos livres, avez vous un travail à côté?
C. M. : Bonjour ! Ce n'est bien sûr pas facile de mener plusieurs combats de front, quels qu'ils soient... Mais beaucoup d'étudiants sont confrontés à ce problème, et énormément travaillent en même temps qu'ils étudient. L'écriture est à la fois un travail et une passion, je suis donc plutôt chanceux ! J'ai néanmoins interrompu mes études cette année, parce que j'ai un travail, en effet, à côté de Mathieu Hidalf.
Pour ce qui est de vivre de l'écriture, c'est malheureusement très difficile. Je pourrais presque l'envisager à court terme, mais travailler à côté n'est pas toujours une contrainte ; c'est aussi une manière de quitter son manuscrit pour y revenir plus libéré.
Et... qu'est ce qui vous a motivé à braver d'effrayants éditeurs pour proposer votre roman? Etiez vous terrifié ou carrément sur de vous? :)
D'effrayants éditeurs ? Ça me fait penser au premier tome de Harry Potter, lorsque Harry et Ron croient qu'ils vont devoir affronter de terribles épreuves pour être admis à Poudlard et que cette épreuve consiste en fait à se coiffer d'un chapeau magique un peu bavard. Même si j'ai toujours voulu être édité, je n'ai jamais écrit pour l'être ; c'est une manière de préserver sa passion, peut-être.
Au sujet du doute, je doute absolument de tout lorsque j'écris, hormis du fait que je veux écrire encore. Ceux d'entre vous qui partagent cette passion ont peut-être déjà eu ce sentiment d'incertitude incroyable ; parfois, la page que l'on trouvait si réussie la veille est devenue un torchon pendant la nuit, comme par magie...
- Céline Tran : Bonjour Christophe Mauri, la question que je me pose c'est : Le nom "Hidalf" ,d'où ça vient? Merci d'avance pour votre réponse.
C. M. : Mathieu Hidalf est dans un coin de ma tête depuis mes treize ans... et je ne sais plus du tout d'où vient son nom. Je crois qu'il est temps que j'invente plusieurs réponses à cette question, comme le Joker dans « The Dark Knight » au sujet de ses cicatrices. Je donnerai toujours une réponse différente. Voilà une proposition : je voulais faire un hommage à Matilda de Roald Dahl !
- Charlotte Baston : Bonjour Christophe, et tout d'abord, toutes mes félicitations pour l'édition de votre manuscrit bourré d'humour et de personnages délirants ! Votre histoire avec Gallimard Jeunesse fait rêver des centaines de jeunes auteurs aujourd'hui et vous participez à apporter un courant d'air frais à l'édition française de romans jeunesse. Pour moi surtout, votre livre est plus qu'un plaisir, il est un symbole : il y a bien une vie et une littérature possibles après Harry Potter ! S'en relever est tellement difficile... Voilà donc ma question: est-ce que le génie de JK Rowling vous a bloqué, tourmenté, torturé ? Avez-vous été victime de la page blanche, et si oui, comment l'avez-vous surmontée ? Mathieu Hidalf vous a-t-il aidé à vous sevrer, à voler de vos propres ailes ? Merci beaucoup pour ce temps que vous nous accordez, à présent que vous conciliez le métier d'écrivain Gallimard Jeunesse (ouaouuuh !) et de futur CAPESien ! Je vous souhaite tous mes voeux de réussite et vous annonce dores et déjà que je suivrai vos nouvelles publications de très près. Bien cordialement !
C. M. : Merci beaucoup pour vos compliments et vos encouragements. Je n'avais pas connu la peur de la page blanche avant le tome 3 de Mathieu Hidalf. Cette peur a été compliquée à surmonter ; j'ai redoublé d'efforts pour la vaincre, en m'efforçant de continuer à écrire, et de retrouver simplicité et plaisir.
Concernant J.K. Rowling, j'ai grandi avec sa série, que j'ai adorée comme aucune autre, et plus que la peur d'écrire mal, je lui dois l'envie d'écrire tout court. Mais vous avez parfaitement raison ; aujourd'hui, je n'ose plus ouvrir un tome de Harry Potter, et je ne le ferai pas avant d'avoir fini l'écriture de Mathieu Hidalf !
P.-S. : je ne pense pas que je passerai le CAPES !
- Charlotte OLPF : Socialement, est-ce que c'est “cool” d'être écrivain ? (chez les autres, est-ce que ça suscite l'intérêt, la fascination, la curiosité, la peur...
C. M. : L'année dernière, j'étais à Casablanca pour parler de Mathieu Hidalf à des enfants de CM2. Dans la cour de récré, une nuée de collégiens se jette sur moi et l'un deux demande : « Quel est votre livre préféré ? » Je réponds : « Harry Potter. » Alors, dans la confusion, quelqu'un s'écrie : « C'est l'auteur de Harry Potter ! » Ce jour-là, je peux dire que c'était « socialement cool » d'être écrivain !
- Charlotte OLPF (dinde) :Et avec les filles??
C. M. : Avec les filles, je ne peux pas nier que c'est un immense avantage. Voilà comment ça se passe le plus souvent :
La fille - Salut, tu fais quoi dans quoi dans la vie ?
L'écrivain - Je suis écrivain !
La fille - Wahou !
L'écrivain - En effet, je consacre mes journées et mes nuits à écrire les bêtises d'un enfant de dix ans insupportable, qui a trois sœurs, Juliette d'Or, Juliette d'Argent, Juliette d'Airain, mais également un chien à quatre têtes dont trois ronflent et empêchent la quatrième de dormir ; c'est une métaphore qui exprime que je déteste les ronflements. Je te raconte les trois premiers tomes ?
À cet instant décisif, deux solutions :
Solution A (la meilleure) : La fille, sourire crispé : - Ah... Ça a l'air bien sympa, tout ça... Une autre fois peut-être, mon copain m'attend...
Solution B (la pire) : La fille, ravie : Quelle coïncidence ! Moi aussi, justement, je suis écrivain ! En ce moment, je rédige les aventures de *** et de ***, avec un chien qui s'appelle *** mais qui n'a qu'une seule tête ! Je te raconte les cent premières pages ?
L'écrivain – Ça a l'air bien sympa, cette histoire avec un chien à une seule tête ! Une autre fois peut-être, je fois filer...
- Fred Ricou : C'est moi ou l'illustration de Mathieu Hidalf ressemble de plus en plus à son auteur, Christophe Mauri ?
C. M. : On me dit souvent qu'il me ressemble de plus en plus, c'est vrai. Pourtant, Benjamin Bachelier ne m'avait sans doute jamais vu en commençant à illustrer Mathieu Hidalf. Il faudrait lui poser cette question !
- Quand on dit Mathieu Hidalf très vite, on peut entendre “Matilda(f)”. Une référence volontaire à l'héroïne de Roald Dahl?
C. M. : Je viens de répéter cent trois vite « Mathieu Hidalf » (heureusement sans témoin). Je dois bien admettre que je n'ai jamais pensé à Matilda en donnant son nom à Mathieu, mais c'est un clin d'œil amusant.
- Écrire pour la jeunesse, est-ce un bon moyen pour ne pas vieillir trop vite?
C. M. : Au contraire, lorsque j'ai commencé à écrire, j'étais un gamin, et j'espérais qu'en écrivant, je prendrai de l'âge ! D'une certaine manière, j'ai vu juste ; voilà presque douze ans que j'ai commencé à écrire, et j'ai vieilli d'autant d'années !
- Trois romans en un an, quel rythme ! Comment faites-vous ?
C. M. : Je fais comme Mathieu Hidalf lorsqu'une tâche insurmontable se dresse devant lui : je triche ! En réalité, j'avais 21 ans lorsque j'ai achevé le premier tome des aventures de Mathieu, et je vais bientôt en avoir 25... Pour venir à bout du seul troisième tome, il m'a fallu quinze mois d'écriture !
- Savez-vous déjà combien de tomes compteront les aventures de Mathieu Hidalf?
C. M. : C'est la toute première question que l'on m'ait posé lorsque j'ai rencontré mes éditeurs. J'ai pris l'air le plus sérieux du monde, comme si j'y avais réfléchi pendant des années, et j'ai répondu fermement : « À deux ou trois près, je suis en mesure de vous dire qu'il devrait y en avoir précisément trois ou quatre. » (En réalité, j'ai dû balbutier un piètre : « Je ne sais pas trop. »). Aujourd'hui, je suis convaincu que la série comptera cinq tomes.